Devant cette frénésie sanguinaire qui semble s’être emparée de l’Indonésie avec l’exécution de condamnés pour des infractions sur la législation concernant les narcotiques, une lectrice s’étonne des incohérences et des injustices du système judiciaire et pénal de l’Archipel…
 
Bonjour à toute l’équipe,

Je ne sais pas si vous prévoyez d’écrire quelque chose sur la peine de mort en Indonésie et sur Serge Atlaoui qui est incarcéré depuis 10 ans, on imagine les contraintes qui sont les vôtres mais il faut s’élever contre ce traitement inhumain. L’Indonésie est un pays souverain, nous n’avons pas à lui donner de leçons mais on peut quand même s’étonner du regain d’exécutions qui se déroulent depuis l’élection du nouveau président Jokowi. Etrangement, ce sont surtout des étrangers qui sont exécutés comme s’ils étaient les seuls à convoyer de la drogue.

On sait que la peine capitale n’empêche aucun délit, même si on aimerait bien l’appliquer à des gens qui violent des enfants ou qui font sauter des bombes et tuent des innocents. Dans de nombreux pays, le nombre d’assassinats a diminué depuis l’abolition de la peine de mort alors qu’à l’inverse, dans les états des USA qui pratiquent la peine de mort, le nombre d’assassinats est plus élevé. On sait aussi que lorsque la peine de mort a été donnée, il n’y a pas moyen de ressusciter les gens pour leur apprendre qu’ils ont été victimes d’une erreur judiciaire. Pour votre connaissance et ce sont les sources d’Amnesty International, sachez que depuis 1973, 123 personnes condamnées à mort ont été libérées aux Etats-Unis parce qu’elles étaient innocentes. Enfin, le dernier argument contre la peine de mort, c’est qu’elle est surtout appliquée à des gens pauvres, qui n’ont pas les moyens de se défendre ou qui appartiennent à des minorités.

Je ne connais pas bien le cas de tous les condamnés à mort en Indonésie mais je me suis surtout intéressée à notre compatriote Serge Atlaoui. C’était un soudeur qui semble-t-il n’a pas été bien défendu ou bien n’a pas payé ce qu’il fallait à qui de droit pour alléger sa peine. En faisant appel, il a écopé de la peine de mort. Il était soudeur, il n’a rien de l’étoffe d’un grand caïd ou d’un baron de la drogue mexicain qui tue tous les jours pour asseoir son pouvoir. Demandez-vous si ses employeurs ont écopé de la peine de mort, ce n’est pas le cas. Ca fait 10 ans qu’il est en prison parce qu’il était soudeur dans une usine de drogues à Java et il doit être fusillé d’un jour à l’autre. En Indonésie, si on commandite la mort d’un juge de la cour suprême qui vous a condamné, on écope de 15 ans de prison, on sort au bout de 5 en ayant passé plus de la moitié de sa peine dans des hôtels de luxe, nous connaissons tous le nom de l’intéressé.

Dans la presse indonésienne en ce moment, vous ne trouverez rien sur le cas de ces condamnés à mort. Même les défenseurs indonésiens de l’abolition de la peine de mort sont étrangement muets comme si c’était un fait acquis que la drogue vient de l’étranger et que c’est un mal apporté par les étrangers. Les statistiques sur lesquelles s’appuient le président sont fausses, il prétend que la drogue tue 50 personnes par jour en Indonésie.

C’est difficile d’expliquer à des enfants que la drogue est autorisée et en vente libre aux USA, qu’elle rapporte même tant de taxes à des états comme le Colorado qu’ils vont être obligés d’en reverser une partie à leurs contribuables. C’est difficile aussi de leur expliquer que l’herbe est de plus en plus utilisée pour soulager la douleur des malades alors qu’ici la simple possession de moins d’un gramme de shit peut vous envoyer en prison.

Mes propos sont décousus, j’en ai bien conscience mais j’avoue que ça tape sur le moral de vivre dans un pays où on a relâché au bout de 10 ans de prison la semaine dernière un gars qui avait aidé à l’assemblage d’une des bombes qui ont explosé en 2005 à Bali et tué une vingtaine de personnes. Dans ce même pays, on a aussi appris il y a quelques jours que Marco Archer Cardoso Moreira le Brésilien exécuté il y a quelques semaines n’a même pas eu droit de rencontrer un prêtre avant d’être exécuté… pour des raisons administratives, c’est ce qu’a raconté le père Charles Burrows qui devait être son confesseur et à qui on a refusé l’accès à l’île de Nusakambangan. Que se passe-t-il en Indonésie ? N’y a-t-il plus de place pour le pardon, pour la rémission, pour la pénitence, pour l’extrême onction, pour les Chrétiens, pour les étrangers ? Peut-on nous répondre ?



Françoise

Merci Ricky, ou ode à l’espoir

Sous le titre « Merci Ricky, ou ode à l’espoir », ce courrier de Lucy qui s’apparente à celui de René il y a quelques mois et qu’on résumera par : à Bali, il ne faut jamais désespérer…
 
Tous les jours, je me lève à 6h. Parfois à l’aide de mon réveil, parfois au seul bruit du battement de la queue de ma chienne en anticipation du moment le plus attendu de sa journée. Tous les jours, je l’amène à la plage, tous les jours, les yeux pas encore en face des trous, tous les jours, les mêmes gestes endormis. Quasi en pyjama, nu pieds, je n’apporte rien à part mon permis dans son enveloppe en plastique, la laisse et quelques biscuits sous la selle. Je me réveille (un peu…) petit à petit au cours de la balade, les rencontres canines, puis c’est le retour à la moto, seules ou accompagnées, distribution de biscuits et ayo-allez, hop on rentre. Ce matin-là, au retour sur le parking, ce sentiment qui nous relie à un reliquat d’instinct, un sixième sens. Un soupçon d’un « il y a truc qui ne tourne pas rond ». Mon « saddle » pourtant bien fermé à clé me parait bizarrement vide. Il manque mon permis. Comment c’est possible ? Tous les jours les mêmes gestes automatiques, le permis, les biscuits sous la selle. Je cherche partout par terre autour de la moto… Rien. Retour maison, je cherche, rien, retour plage, rien, retour maison. Vraiment rien.
Perplexe, incrédule et pour le coup bien réveillée ;  je poste sur une page Facebook spécial expats avérés. De la réponse à coté, souvent cynique, parfois amère : perdu ou pris sur le parking mon permis... Si quelqu’un le retrouve me contacter. S’ensuit très rapidement une pluie de remarques, commentaires, leçons, accusations, les unes plus négatives voire racistes que les autres... Je me sens déprimée face à ce flux inutile et vraiment pas très généreux. Je ne veux pas être aspirée dans ce trou béant, allez me dis-je : laisse tomber tous ces grincheux,  lâche prise, ce n’est qu’un permis et une photo (certes très chère) et je delete mon post avec un petit commentaire en passant.. Bah quoi ? Je ne suis pas parfaitement zen non plus ! Six réveils plus tard, je reçois un sms… anglais de vache espagnol, je comprends vite qu’il s’agit de quelqu’un, local, qui aurait retrouvé mes papiers !!!!!!!!! Quelques sms plus tard, beaucoup d’avertissements amicaux mais personne de disponible pour m’accompagner, je pars à la rencontre de Ricky. Ricky est un Indonésien, probablement Javanais, petite vingtaine d’années, Ricky tient une boutique de téléphones portables à Kuta. Il ne doit pas manger tous les jours. Ricky a pris la peine de chercher le moyen de me contacter. Non seulement, il me rend mes papiers intacts, la photo y compris ; mais il tente de refuser le petit billet que je veux lui glisser. Alors là... moi qui ne chante même pas seule sous ma douche, je pars en chantant à tue-tête sur ma sepeda motor. Non pour ces papiers retrouvés, mais pour le cadeau immense de ce petit gars... la confirmation que oui, les gens bons existent
encore !!!!!!!!!!!!! A peine rentrée à la maison, je ne résiste pas à l’envie de partager ce happy end sur cette même page Facebook qui me semblait réunir les amateurs de la complainte. Pendant plusieurs jours, j’entendais le bruit incessant de notifications telles des machines à sous qui crachent des pièces au casino...534 likes !!!!!!!! Et à chaque ding, le sentiment d’une petite victoire. Moral de l’histoire : tout le monde aime un happy end.


Lucy


un marché hôtelier juteux pour le groupe Accor

 
Sous le titre « Un marché hôtelier juteux pour le groupe Accor », un lecteur nous explique pourquoi il n’a pas apprécié notre papier « Business » sur Franck Loison et le groupe Accor dans le numéro d’octobre dernier...
 
En octobre, lorsque vous présentez - très admiratifs - le plan carrière de Franck Loison et qu’il vous dit : « A Bali, l’offre de chambres croît plus vite que le nombre de vacanciers » et que dans le même temps il affirme que « les perspectives de développement sont loin d’avoir atteint leurs limites sur notre île », le paradoxe ne vous frappe
pas ? Et lorsqu’il affirme sans vergogne « les sommes en jeu éliminent petit à petit tous les petits hôtels de famille », vous ne trouvez rien à dire ? Et quand il assure que le moratoire sur la construction d’hôtels voulu par les élus du peuple balinais n’est pas prêt de voir le jour parce que tous les grands groupes hôteliers y sont en compétition, cela ne vous émeut pas plus que cela ?

Pensez-vous vraiment qu’Ubud a besoin du Sofitel et du MGallery qu’Accor veut y ouvrir ? Cela ne peut réussir qu’au détriment de ceux qui ont créé les guest houses et les établissements de toutes classes qui ont fait le charme de cette destination culturelle depuis des dizaines d’années et dont le sens de l’hospitalité n’a rien à apprendre de la superficialité bourgeoise de l’hôtellerie à la française dont la riche clientèle de rentiers fait tellement rêver Monsieur Loison.

C’est son droit de parler comme il parle, n’est ce pas votre devoir de journaliste d’en souligner le cynisme et de mettre en garde contre un développement incontrôlé de l’industrie touristique au détriment « des petits hôtels de famille » et finalement de la culture balinaise qui reste la raison majeure de l’arrivée des touristes à Bali ?



Yvan Vandenbergh


La réponse de la rédaction…




Cher monsieur, merci d’avoir pris la peine de nous écrire. Concernant le premier point : « les perspectives de développement sont loin d’avoir atteint leurs limites sur notre île », vous prêtez à tort à M. Loison un propos qui figure dans le chapeau de l’article et donc émis par le journaliste. Notre journaliste fait référence à des études et des propos tenus par les plus hautes autorités du tourisme sur les perspectives de développement de Bali, c’est un fait, il y aura d’ici quelques années des millions de touristes en plus à Bali. M. Loison est bien placé pour savoir que les hôtels existants sont bien loin d’un taux de remplissage à 100%, il n’empêche que nous assistons actuellement à une course effrénée au développement.

C’est bien sûr un paradoxe mais si vous avez lu l’article avec attention, vous avez remarqué qu’Accor ne fait que de la gestion hôtelière et n’est en rien propriétaire des murs. Mieux que cela, ce sont les propriétaires terriens ou les investisseurs qui font la démarche de faire appel à ce groupe français pour gérer leurs hôtels. Je suis bien en peine de répondre au nom d’Accor mais je me demande à haute voix au nom de quoi Accor devrait refuser des contrats au prétexte qu’il y a déjà assez d’hôtels à Bali ? Si le business plan est valable et qu’Accor est capable d’apporter aux propriétaires de l’hôtel, tous indonésiens, les bénéfices escomptés, il me semble que nous ne pouvons que nous en féliciter.

Bien sûr que le paradoxe nous frappe mais ce n’est pas le sujet de l’article. Si nous pouvions interviewer le bupati de Badung, le gouverneur de Bali ou le ministre du Tourisme, nous lui poserions toutes ces questions qui nous démangent sur le développement totalement incontrôlé de Bali. Dans ce numéro, nous publions un grand papier sur la crise de l’eau à Bali, elle est en partie liée au tourisme et à la consommation d’eau des hôtels. Il y a un moratoire lié à la construction de nouveaux hôtels à Bali comme nous le rappelons dans cet article mais il n’est pas respecté. On ne peut pas tout révéler dans cette réponse mais c’est un fait que pour construire un hôtel, il faut une cinquantaine de licences et il faut croire que ces licences rapportent beaucoup d’argent à ceux qui les délivrent.

Concernant le second point, « les sommes en jeu éliminent petit à petit tous les petits hôtels de famille », là encore vous prêtez à notre interviewé des propos écrits par notre journaliste. Oui, il est avéré que le goût de la classe moyenne s’oriente de plus en plus vers des hôtels standardisés avec écrans plats et climatisation plutôt que des hôtels de famille avec murs en bedeg, gecko hurlant la nuit et ventilateurs poussifs. Je grossis le trait avec un peu d’humour mais il est vrai que le cœur de la population touristique asiatique (90% des touristes qui déferlent sur Bali) préfère des hôtels qui sont aux antipodes des goûts des touristes européens. C’est tout à fait souhaitable que de petits hôtels familiaux se maintiennent, ils contribuent bien plus à la stabilité du tissu économique local mais c’est un fait qu’ils n’ont pas les moyens ni de résister en terme d’offres de service ni de plate-forme de réservation ni de marketing.

Au sujet de votre paragraphe suivant sur le moratoire, vous supposez bien à tort que ce sont les grands groupes hôteliers qui contraignent les autorités balinaises à le bafouer. Comme je vous l’ai expliqué un peu plus haut, ce sont des propriétaires terriens, balinais et/ou indonésiens qui font appel à des groupes hôteliers qui n’agiront qu’en tant que prestataires pour eux.

Est-ce qu’Ubud a besoin d’un Sofitel ou d’un M Gallery ? Je n’en sais rien et je ne suis pas un habitué de ce genre d’établissements mais vous savez sans doute qu’il y a 640 hôtels à Ubud, alors un de plus ou de moins, ça ne me fait ni chaud ni froid et je ne vois pas en quoi je devrais m’en émouvoir.

Je ne trouve pas les propos de M. Loison cyniques comme vous le dites. Ils sont d’un domaine que vous semblez ignorer, celui des affaires, c’est le sujet de notre article. Ce n’est pas notre devoir de mettre en garde contre le développement incontrôlé de Bali, nous ne sommes ni une ONG, ni un parti politique, nous relatons des faits dans le cadre d’un journal et d’articles aux contours bien délimités. Il s’agissait dans le cas de cet article consacré à Accor d’exposer la raison pour laquelle les propriétaires fixaient plutôt leur choix sur cet enseigne. C’est votre liberté de dénigrer «  la superficialité bourgeoise de l’hôtellerie à la française et sa riche clientèle de rentiers », c’est notre droit de rappeler qu’elle rencontre du succès auprès des investisseurs indonésiens.

Vous semblez être un amoureux de Bali et vous parlez avec votre cœur, vous avez bien raison. Mais le monde change et Bali n’y échappe pas. Contrairement à ce que vous écrivez, la raison majeure de l’arrivée des touristes à Bali n’est plus la culture, tout le monde le déplore mais c’est une réalité et nous journalistes tâchons de rendre compte de la réalité. Les touristes asiatiques viennent flâner dans les malls de Centro ou Beach Walk, les Australiens surfent sur Bukit ou boivent des bières à Old Men’s du côté de Canggu, les Européens font leur shopping à Seminyak ou écument les derniers restos chics et lounges de Kerobokan. Ubud a considérablement changé depuis le film « Eat, Pray, Love », les prix ont explosé, on trouve sur le circuit « Monkey Forest-Jalan Raya Ubud » les grandes enseignes internationales, eh oui, on vient aussi faire du shopping, satané shopping à Ubud, ne vous en déplaise. Et malgré cela, les autorités balinaises se plaignent que les touristes ne dépensent pas assez…

Les touristes occidentaux cultivés ont une quête d’authenticité qui se heurtent frontalement à la modernité. Au nom de quoi étiqueter le Bali des années 80 avec ses petites pensions de famille plus authentique que le Bali de 2015 avec ses grandes enseignes internationales ? La force de la culture balinaise ne se loge pas dans son offre d’hébergement mais dans ses cérémonies, ses temples, ses paysages, le sourire de ses habitants.

Si j’ai consacré autant de temps à vous répondre, c’est parce que votre courrier m’a touché. Notre cœur saigne, à nous tous les amoureux de Bali, qui avons décidé de nous enraciner sur cette île magnifique. Nous souffrons de voir les plastiques la défigurer, ses eaux polluées, le béton stériliser ses rizières mais il est sage de comprendre que nous n’avons aucune prise là-dessus. Et plus encore, il nous faut sans doute nous défaire de ces images qui ont ravi nos ancêtres qui visitaient l’expo coloniale en 1931 et se réjouissaient et s’émouvaient de voir l’authenticité des indigènes qu’on leur proposait d’observer parqués dans leurs enclos. Les indigènes sont entrés dans la modernité et ils aiment maintenant loger dans des Sofitel, grand bien leur fasse.

Pour terminer ce courrier par une boutade, je reproduis le premier couplet de la chanson « Nénufar » interprétée par Alibert, qui était la marche officielle de l’expo coloniale de 1931 :



Quittant son pays,

Un p’tit négro

Vint jusqu’à Paris

Voir l’exposition coloniale


C’était Nénufar

Un joyeux lascar

Pour être élégant

C’est aux pieds qu’il mettait ses gants



 

Socrate Georgiades

motard dans la cendre

motard dans la cendre
merapi novembre 2010

face sud du merapi

face sud du merapi
paysage de désolation après le passage des lahar