Stagiaires français à Bali, une espèce maltraitée en voie de développement à Bali


Notre stagiaire Cassandre Bachellier a écrit ce courrier sur les nombreux stagiaires qu’elle a rencontrés à Bali, s’étonnant qu’ils soient quasiment tous français, fréquemment livrés à eux-mêmes et bien souvent sans encadrement compétent et responsable. Des stagiaires qui seraient selon elle une « espèce maltraitée en voie de développement » à Bali…

Il y a quelques semaines, j’ai déménagé de mon petit kost à un million cinq vers une guesthouse un peu plus classe : une grande piscine, un jardin bien entretenu et une quarantaine de chambres à des prix variant entre 3 et 6 millions par mois. Cette luxueuse transition ne m’a pas seulement permis de découvrir les coutures du fond de mon porte-monnaie, elle m’a aussi offert l’accès à un filon inattendu pour moi : la manne des stagiaires français ! Alors, entendons-nous bien, j’avais croisé cette espèce à de nombreuses reprises depuis mon arrivée. Ils sont nombreux et un mouvement de migration instinctif les concentre tous dans les alentours de Canggu. Pourtant, je n’avais pas encore mis le doigt sur leur nid et voilà que je me retrouve en plein cœur de leur territoire ! Une chambre sur deux est occupée par un stagiaire français, et évidemment ils connaissent tous leurs congénères, ce qui m’a permis de visiter de nombreux nids.

Le stagiaire est mal ou pas du tout payé et pourtant il conserve une certaine notion du confort : la piscine est presque toujours un impératif, tout comme la femme de ménage et la climatisation. Deuxième point marquant : il a fait de bonnes études. Commerce, tourisme, droit, stylisme… de bonnes écoles et de bons élèves. Pourtant, il n’a étonnement pas toujours obtenu des postes très intéressants ici. J’ai d’ailleurs souvent entendu une phrase revenir : « Moi, j’ai choisi la destination avant le stage, j’ai pris le premier que j’ai trouvé. » L’espèce accepte globalement de dévaloriser ses compétences pour assurer sa présence sur Bali… Il est d’ailleurs courant de rencontrer des couples de stagiaires qui pour rester ensemble ont pris n’importe quel stage.

Cette demande massive, de qualité et très peu regardante, offre aux employeurs installés à Bali une main d’œuvre bon marché et souvent polyglotte. Cette demande abondante couplée à son absence totale du droit du travail indonésien (notamment pour la raison que le travail du stagiaire étranger n’existe pas ici… celui-ci ne fait officiellement qu’observer !) ainsi qu’au sentiment de « self-made man » qui ne doit rien à personne développé par les entrepreneurs de Bali, font qu’il est courant d’entendre des histoires qui nous paraitraient aberrantes en France. Le contrat moral conclu entre le stagiaire et l’employeur – une main d’œuvre à très bas prix en échange d’un apprentissage - n’est que très rarement respecté. Certains par exemple se retrouvent à tenir le rôle de central téléphonique de démarchage à longueur de journée sans même avoir l’occasion d’assister aux rendez-vous une fois le client appâté. D’autres, au contraire, se voient confier des responsabilités surdimensionnées qui les placent souvent dans des situations complexes et dangereuses pour leur séjour en Indonésie. C’est le cas de deux stagiaires que j’ai rencontrés qui ont la charge d’un hôtel entier. Leur patron ayant décidé de prendre de longues vacances et de profiter de ces managers improvisés à qui, en plus de ne leur verser aucune rémunération, il peut extirper chaque mois le prix de la location de leur chambre. Et oui, c’est ça le charme de Bali, il est possible d’engager de jeunes étudiants dynamiques et de les faire payer pour gérer votre business à votre place !

Quand salaires il y a, ils ne dépassent que très rarement 2,5 millions par mois, et il est très courant qu’ils ne soient pas du tout rémunérés. Il arrive même que de nombreuses déductions s’appliquent pour les congés pris (moins 300k pour une absence d’une journée… de quoi voir disparaître un mois de salaire pour une semaine de vacances !) ou encore pour les retards ! Certains se voient contrôlés à la minute près et voient leurs retards cumulés adressés dans des réunions mensuelles de recadrage genre : une demi-heure de retard cumulé ce mois-ci mademoiselle ! De plus, ni fête de l’armistice ni célébrations hindouistes, les stagiaires de Bali ne peuvent se réclamer d’aucune nationalité quand il s’agit d’être éligible aux jours fériés. 

Pas uniquement appâtés par les plages de l’île des Dieux, les jeunes étudiants sont aussi attirés par la masse d’emplois et d’opportunités qu’offre l’activité touristique balinaise. C’est les yeux pétillants et le crâne chargé de promesses d’emplois qu’ils se rendent sur l’île. Ils y trouvent parfois des entreprises qui ont fermé une semaine avant leur arrivée sans avoir pris la peine de les prévenir ou des maitres de stages qui n’ont même pas fait l’effort d’analyser les couts d’un Kitas avant d’avancer la possibilité d’un emploi futur. Tout cela fait que les stages se transforment plus souvent en fête de six mois, entre détente au bord de la piscine et découverte de la scène nocturne balinaise. On y apprend plus à gérer les videurs indonésiens, à négocier le prix de location des planches de surf et compter ses brochettes de sate en bahasa Indonesia qu’à faire de la compta ou de la gestion de projet !

Alors, heureusement, il y a de nombreuses exceptions ! Je connais aussi beaucoup de stagiaires qui sont ravis de leurs responsabilités, des maîtres de stage qui ont à cœur d’enseigner leur mode de vie à leur stagiaire, que ce soit au niveau professionnel ou de la découverte de Bali. Il y en a qui prennent le temps d’enseigner et d’écouter, d’autres qui acceptent de considérer leur stagiaire comme quelqu’un de capable d’avoir une opinion intéressante et de prendre des décisions seul, ou encore qui leur reconnaissent le droit de prendre des vacances ou de profiter des jours fériés pour découvrir l’Indonésie de temps à autre.

Il n’y a pas de recette parfaite et le traitement des stagiaires en France n’est pas non plus toujours exemplaire. Je trouve cependant étonnant que les expatriés, ayant choisi Bali précisément pour cette absence de carcan réglementaire mais aussi pour la douceur de vivre, pour la tranquillité et la souplesse de l’emploi, n’aient pas envie de transmettre tout cela dans leur leadership. Pas de lois, pas de droits, pas de protections. Vous me direz que c’est pour cela que les gens viennent à Bali et que c’est comme ça que se forme la jeunesse. Personnellement, je trouve que c’est un fonctionnement archaïque. La liberté qu’offre Bali et qui permet la création de nombreuses startups innovantes, solidaires et inquiètes de leurs impacts sur l’environnement devrait aussi pouvoir permettre de participer à la création d’une nouvelle forme de management basée sur la liberté, la responsabilisation, le respect et la reconnaissance. La flexibilité n’a pas forcément pour seule réponse l’exploitation. C’est à nous tous de créer un marché équitable et raisonnable, que ce soit pour nos fruits ou nos stagiaires !

Cassandre Bachellier

Aucun commentaire:

motard dans la cendre

motard dans la cendre
merapi novembre 2010

face sud du merapi

face sud du merapi
paysage de désolation après le passage des lahar